samedi 11 février 2012

Le Quatuor de Los Angeles

Sur James Ellroy :
Ou plutôt mon ressenti de ce que j'ai lu de lui, à savoir le quatuor de Los Angeles qui fait l'objet de cet article.
Ellroy est un auteur de polars noirs, TRES noirs. J'espère pour lui que ce n'est pas sa vision de la vie, sinon je le plains. J'espère pour nous en effet que ce ne soit pas le cas et qu'il a tort, sinon je NOUS plains, pauvres naïfs...
Ses personnages sont complexes, pas un qui ne nage pas en eaux troubles, pour ne pas dire qu'ils sont englués dans la boue la plus noire, ce qui peut être perturbant pour le lecteur qui a l'habitude de polars plus "classiques" où il peut se rattacher à un personnage central (ou duo) auquel il peut s'identifier. Ici, non.
Les histoires aussi sont complexes. Il ne faut pas perdre le fil, on pourrait être vite perdu. Les liens entre les personnages sont complexes, sont complexes aussi ce qu'ils gardent pour eux et cachent les uns aux autres (s'en rappeler pour mieux suivre le fil !).
Les contextes dans lesquels ils évoluent ne leur font pas de cadeaux, eux non plus, et Ellroy non plus avec ces lecteurs. Il nous sait assez intelligents pour le suivre dans ses déroulés de l'histoire, nous respecte pour cela, on peut le suivre avec confiance.
Mais le lire, ça se mérite : adeptes de la lecture dans les transports en commun et autres lieux publics, s'abstenir ! Mieux vaut se caler une heure ou deux de lecture au calme pour bien suivre le déroulé de l'histoire et ses multiples détails.
Ce n'est pas une lecture ardue, mais l'auteur s'est débrouillé pour écrire des romans complexes qui tiennent la route, alors prière de respecter son travail !

Sur le quatuor de Los Angeles, globalement :
Les lire indépendamment les uns des autres, bien qu'ils se suivent de façon chronologique et que l'on retrouve certains des personnages d'un volume à l'autre (pas forcément les mêmes d'ailleurs) ? Oui et non. Absolument non en ce qui concerne le dernier, "White Jazz" .
L'ensemble de ces romans se déroulent sur 12 ans de 1947 à début 1959 (encore que le dernier volume se déroule sur 1958, l'année 1959 n'apparaissant qu'à la toute fin). Ils se passent tous à Los Angeles évidemment, mais les quatre histoires tournent autour de Hollywood, de près ou de loin, de meurtres bien sûr, de prostitution, de drogue, d'alcool et surtout de la police de Los Angeles. Et ils mélangent faits/personnes réelles et fiction.
Dans ce monde d'hommes, les femmes aussi ont leur importance, l'archétype même des femmes fatales, des "bombes" qui sont les éléments déclencheurs qui font partir les protagonistes en vrille, où tout explose, vole en éclat à leur passage. Des femmes déjantées à force de vivre dans ce mode machiste et qui elles aussi naviguent à vue et en eaux troubles. Et elles aussi déterminées.
Mais chaque volume a sa spécificité.
"Le Dahlia Noir" a pour base un fait divers réel, l'assassinat d'une starlette, une des victimes de meurtres en série. Cette histoire fait écho à la vie personnelle de l'auteur, dont la mère aussi a été assassinée quand il était jeune, elle aussi victime du même meurtrier en série. A ceci près que dans la réalité, l'assassin n'a jamais été retrouvé.
"Le Grand Nulle part" est aussi une histoire de meurtrier en série, dont les victimes sont cette fois issues du milieu homosexuel. Cette fois, on baigne en plein Hollywood, pas coté rêve, mais aussi en plein dans les débuts du maccarthysme, avec manipulations et barbouzeries en tous genres. Y est évoqué également le monde de la nuit avec les boîtes de jazz, la prostitution et la mafia, omniprésente dans ce roman...
"LA Confidential" traite de meurtres en série aussi de prostituées femmes cette fois), mais de façon plus lointaine : cet aspect sera développé progressivement au cours du roman mais la base de l'histoire est un réseau de revue pornographiques et d'un massacre dans un restaurant et comment tout est lié.
"White Jazz" a essentiellement pour thème les combines et magouilles en tous genres dans lesquels trampouillent les services de la police de Los Angeles de l'époque (attention, je parle de celle décrite dans les romans de Ellroy, je ne prétends pas qu'il s'agit ici de la réalité de l'époque).


Voilà pour la présentation globale du quatuor et de leur auteur, aux romans maintenant !



Le Dahlia Noir

Le 15 janvier 1947, la police de Los Angeles trouve sur un terrain vague le cadavre nu d'une femme de 22 ans, Betty Short. Le corps en deux au niveau de la taille, vidé de ses organes et de son sang, il présente de nombreuses lacérations et brûlures, notamment aux seins, et la bouche a été ouverte d'une oreille à l'autre. La police met toutes ses forces sur ce meurtre qui, à cause de la tendance de la victime à se vêtir de noir, devient "l'affaire Dahlia noir". Elle va faire la une du Herald Express pendant douze semaines.
J'ai finalement peu de commentaires à faire dessus car je l'ai lu il y a à peu près deux ans. Difficile pour moi du coup de bien me rappeler de l'histoire en détail, même malgré quelques recherches sur Internet ! MAIS : je me rappelle cependant avoir aimé le fait qu'il s'agisse d'un polar noir, l'époque à laquelle se déroule l'histoire, la complexité des personnages et de l'intrigue.
J'avais du coup embrayé sur "L'Affaire du Dahlia Noir" de Steve Hodel, qui n'est non pas un roman mais une tentative de son auteur de résoudre, autant que faire se peut après tant d'années, le meurtre d'Elizabeth Short et de tous les autres meurtres similaires. Avec les compliments et remerciements de James Ellroy, pour qui ce livre répond à ses propres questions sur le meurtre de sa propre mère. Et lui a permis, de tourner la page.
Mais l'ensemble, fut assez lourd à digérer en même temps : c'est une chose de lire un polar tiré de l'imagination d'un auteur, c'est est une autre d'en lire un tiré de la réalité. Il m'a donc fallu du temps pour me remettre dans un polar noir, j'ai donc attendu.

APARTÉ
Et me voici fin 2011 dans ma librairie préférée, à fureter dans le rayon Ellroy, en faisant bien attention cette fois de ne pas confondre avec Ellory même si pour le coup, ça avait été une chouette découverte.
Et d'hésiter sur lequel acheter, avant de tomber sur "White Jazz". En pleine période de découverte de cette musique, je me dis, "Cool, je vais en profiter pour le lire en écoutant le coffret de jazz offert par mon chéri à Noël dernier !" Soit Noël 2010, oui, je prends mon temps.
Donc lecture du quatrième de couverture qui finit ainsi : "White Jazz est la conclusion fracassante du quatuor de Los Angeles..."
Euh, minute là, il y en a trois avant celui-là ?
"... dont les trois premiers volets sont le Dahlia Noir..."
Ah bon ? Je suis passée complètement à côté ou je l'ai simplement oublié ?
"... Le Grand Nulle Part..."
? Connais pas.
"... et L.A. Confidential"
Ah oui, l'est tiré de ce livre, le film ?
Bon. Me connaissez : il ne me faut pas grand chose pour avoir envie de lire un polar et tant qu'à avoir lu le premier volume et craqué sur le quatrième, autant prendre les deux autres dans la foulée...
FIN D'APARTÉ



Le Grand Nulle Part

Le Grand Nulle Part commence la nuit du premier de l'an 1950 et met en scène trois destins parallèles de policiers. L'inspecteur adjoint Danny Upshaw enquête sur une série de meurtres sexuels avec mutilations. Le lieutenant de la criminelle, Mal Considine, accepte de servir l'ambition d'un aspirant-procureur en participant à un dossier sur l'influence communiste à Hollywood. Buzz Meeks, homme de main, ex-flic des narcotiques et pourvoyeur de chair fraîche pour Howard Hughes, se joint à la lutte contre "la menace rouge" pour l'argent et le pouvoir. Sans le savoir, les trois hommes ont acheté un billet pour l'enfer.
Les thèmes principaux de l'histoire sont l'homosexualité et le maccarthysme à Hollywood, deux sujets sensibles pour l'époque. Elle tourne autour de 5 personnages dont on retrouvera 2 dans le volume suivant (plus un autre dans le prologue, mais que dans ce prologue sur le style de "mais qu'est-il devenu ?").
Ils évoluent dans et autour d'Hollywood pour des raisons différentes. L'un travaille pour Howard Hugues, deux autres dirigent une commission anti-communiste, le dernier suit une enquête sur les meurtres en série d'homosexuels.
Ils finissent par rencontrer les mêmes personnes pour des raisons et motivations différentes avec leur propre personnalité (ce qui est normal me direz-vous, mais je tiens à mettre l'accent sur leurs personnalités vu l'importance des conséquences qui en découle).
Ils agissent donc plus ou moins indépendamment les uns des autres. "Plus ou moins" car cela varie en fonction des liens professionnels qu'ils ont ou tissent entre eux.
Ils ont chacun leurs failles, leurs faiblesses, qui influent sur leur travail. Pour ma part, c'est, avec une certaine vision du maccarthysme et du Hollywood de l'époque, un des aspects du roman que j'ai trouvé le plus intéressant.
Par contre, il vaut mieux bien repérer chaque personnage dès le début : qui il est, sa fonction, sa personnalité surtout. Car chaque chapitre suit la progression du travail de chacun, il y a un changement d'ambiance, de ton presque à chaque fois (très subtil cela dit, ou alors c'est l'idée que je me faisais de chaque personnage qui me donnait cette impression ?).
Il faut bien intégrer ce qui est dit et fait pour comprendre ce qui en découle pour les autres et l'intégralité de l'histoire (bon, Ellroy fait tout aussi pour ne pas perdre le lecteur en cours de route non plus, rassurez-vous).
En résumé, j'ai assez aimé même si, comme dans la plupart des polars noirs, la mise en place est assez longue - mais pas ennuyeuse du tout - et pourrait en rebuter certains (en plus, chaque roman du quatuor sont écrits petit, et celui-ci fait quand même 639 pages).



L.A. Confidential
1950-1958

Trois flics dans le Los Angeles des années cinquante...
Ed Exley veut la gloire. Hanté par la réussite de son "incorruptible" de père, il est prêt à payer n'importe quel prix pour parvenir à l'éclipser.
Bud White a vu son père tuer sa mère. Aujourd'hui, il est devenu un bloc de fureur, une bombe à retardement portant un insigne.
"Poubelle" Jack Vincennes terrorise les stars de cinéma pour le compte d'un magazine à scandale. Un secret enfoui dans sa mémoire le ronge. Il fera tout pour ne pas le laisser remonter à la surface.
Trois flics pris dans un tourbillon, un cauchemar d'où toute pitié est exclue et qui ne permet à personne de survivre.
L.A. Confidential est un roman noir épique.
Ici, changement de style d'écriture, d'amorce des chapitres, de découpage de romans.
L'écriture se rapproche plus du style télégraphique, comme si les personnages était ici dans une sorte d'urgence, poursuivant leur but en faisant table rase de ce qu'il y a autour. Cela donne un rythme plus soutenu au roman, plus prenant aussi.
Sur l'amorce des chapitres : dans le volume précédent, voire dans n'importe quel roman en général, quand l'auteur passe d'un personnage à l'autre, il donne son nom : "X fait ceci" "Y se rendit à tel endroit" "Z sortit du bureau" ou que sais-je.
Ici, l'auteur dit juste "il". Au lecteur de suivre.
Et c'est mieux. Car ce que je disais du volume précédent (à savoir changement de ton d'un chapitre à l'autre suivant de quel personnage il est question) se vérifie ici.
Une fois de plus, Ellroy ne nous prend pas pour des idiots, il sait qu'on va le suivre (et fait tout pour mine de rien). Ellroy a gagné en maturité et qualité littéraire entre ces deux livres, mon regret serait qu'il n'ait pas utilisé cette "recette" pour le Grand Nulle Part même si on y sent déjà les prémices de cette évolution.
Sur le découpage : entre chaque partie, qui sont distantes les unes des autres de quelques voire plusieurs années, l'auteur a placé des "interludes" appelés "calendriers" (rapports de police, articles de presse), qui donnent un recul donc un relief à l'histoire dans son ensemble, ainsi qu'à la complexité des personnages individuellement, et à leur relations. Ce qui permet une meilleure compréhension de l'ensemble. Ces "calendriers" permettent aussi de casser le rythme, tout en en donnant davantage. Brillant !
Résultat de ces innovations et de cette évolution : des trois romans, c'est à mon sens le plus abouti, il est écrit avec brio.


White Jazz
Los Angeles, fin des années cinquante. Ed Exley cherche à éliminer de la course aux élections municipales, Morton Diskant, opposé à l'éviction eds mexicains habitant Chavez Ravine. Des fourrures ont été volées dans un entrepôt pour un montant de deux millions de dollars. Dudley Smith est chargé de l'affaire. Un cambriolage se produit chez les Kafesjian, trafiquants de drogue, propriétaires de laveries et indicateurs privilégiés de la brigade des stupéfiants. Un tueur de clochards, le "feu follet fou", rôde dans la ville. Le lieutenant Dave Klein, du LAPD, passe d'une affaire à l'autre. Bien des années après, il se souvient. "Je suis vieux. J'ai peur d'oublier. J'ai tué, j'ai trahi, j'ai moissoné l'horreur. Je veux sombrer avec la musique."
Alors là on arrive à l'apogée du quatuor en terme de magouilles policières et leur dénouement. Une fois n'est pas coutume, et contrairement aux autres opus (sauf erreur de ma part concernant le Dahlia Noir que j'ai oublié chez mes parents, je ne peux donc pas vérifier), l'histoire tourne autour d'un personnage, lui-même le narrateur de l'histoire.
On sait dès les premières pages qu'il n'est pas net, que ce soit sur sa vie professionnelle ou sa vie privée. C'est évidemment lui qui sera l'élément déclencheur de la conclusion du quatuor.
Je déconseille à quiconque de découvrir Ellroy avec ce roman, vous en seriez dégoûtés à vie :
1) parce qu'on comprend difficilement dans quoi Dave Klein s'embourbe si on ne sait rien de ce qui a précédé, en particulier concernant Ed Exley et Dudley Smith.
2) oubliez tout de suite l'histoire du "feu follet fou", il n'en est pas question dans le roman. A se demander pourquoi elle est évoquée dans le quatrième de couverture.
3) changement de style radical dans ce roman, plus ou moins amorcé dans le précédent : un style télégraphique qui contraint le lecteur à le lire dans une absolue tranquillité (je maintiens mon commentaire sur le côté "impossible à lire dans les transports en commun"). Pour ma part, je l'ai lu en trois semaines, car besoin de le lire au calme, mais aussi d'avoir l'esprit dégagé pour cela. Et débordée de boulot comme je l'ai été dernièrement, ça me donnait envie de lire des romans plus "légers" sans efforts particuliers de concentration. Donc pas le soir, mais plutôt le week-end.
Ce style télégraphique est plutôt déroutant et pas toujours facile à suivre. Il donne une impression d'urgence. Et, de la part du personnage principal, une détermination. Il bidouille et barbouze tellement de tous bords depuis si longtemps, par survie, que seule reste sa détermination que traduit très bien ce style d'écriture. Le roman est heureusement entrecoupé de chapitres (ou interludes) que sont les dialogues et les coupures de presse.


Ce qui pourrait déplaire chez Ellroy :
La complexité des histoires justement, la multiplicité des personnages (j'avais par moment une envie furieuse de faire des fiches pour me rappeler qui est quoi, qui fait quoi et ses liens par rapport aux autres), un développement assez long qui n'est pas ennuyeux parce qu'il y pas mal d'actions (les personnages sont constamment en mouvement comme si c'était une question de survie, et dorment très peu, comme si ça pouvait leur être fatal). Mais sur la ou les enquêtes qu'ils mènent, on a parfois l'impression de ne pas avancer. La compréhension finale se fait dans le dénouement (sur au moins une centaine de pages, chaque dénouement) et donne du coup peut-être un côté précipité. Ce qui est probablement voulu : les choses se précipitent, et on ne peut véritablement pas lâcher le livre avant la fin.
Les adeptes du politiquement correct ne vont pas apprécier le vocabulaire, adapté à l'époque dans laquelle évoluent les personnages, qui était franchement raciste (sud des USA) et homophobe. Mais moins machiste que ce que je craignais finalement.

En conclusion :
Ça m'a globalement bien plu, pour l'ambiance, la reconstitution d'époque. J'espère seulement que la police d'alors n'était réellement pas ainsi, parce que sinon, sale époque ! (grosse pensée pour la série "les incorruptibles". Y-aurait-il un fond de vrai dans ces fictions finalement ?)
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1 commentaire:

  1. bonsoir, je prends enfin le temps de t'écrire un petit mot....je suis passée plusieurs fois, mais jamais pris le temps de laisser un mot sur ce post.
    J'ai lu le premier enfin le Dalhia Noir la version écrite par Steve Hodel, j'ai bien aimé, j'aime déjà l'époque, l'ambiance, l'histoire du Dalhia Noir m'a toujours 'intrigué', j'ai vu le film et j'ai nettement moins aimé. Je pense donc lire celui de Ellroy (c'est de cette version qu'est tirée le film..mais il y a souvent une grande différence entre livre et cinéma), c'est très étrange que Betty Short et sa mère aient été victime du même cinglé...
    Pour les 3 autres je ne connais que l'adaptation ciné de LA, aimant beaucoup Kevin Spacey j'ai bien aimé le film, mais comme pour le Dalhia, livre et cinéma sont parfois bien éloignés...Je pourrai donc me pencher dessus aussi...(enfin quand j'aurai un peu plus de temps....et que j'aurai fini Damné de Hervé Gagnon...plus La promesse des Ténèbres de Chattam...;autant dire pas avant un bon moment lol)
    En tous cas merci de nous avoir fait partager ta cure Ellroy lol....homme bien torturé en effet, mais il n'est pas le seul....les bons auteurs sont souvent 'bizarres'...Chattam, Granger....sont bien déranger aussi lol, pour pouvoir imaginer tous ce qu'ils décrivent dans leurs livres....
    Bonne soirée, bisous.

    Valérie.

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