samedi 17 septembre 2022

Daddy Love


4 de couv' :
Avec Daddy Love, Joyce Carol Oates plonge son lecteur dans l'horreur. Une horreur qui commence au centre commercial d'où Robbie Whitcomb, cinq ans, est enlevé sous les yeux de sa mère.
Le ravisseur, un technicien du kidnappping, collectionne les petits garçons dont il se débarrasse dès qu'ils atteignent la puberté. Devenu "Gideon", Robbie va ainsi passer sept an à obéir à Daddy Love. Mais qui est Daddy Love ? Un homme charmant du nom de Chet Cash. Pasteur itinérant de l'Église de l'Espoir éternel, dont les prêches subjuguent l'assistance, c'est aussi un citoyen actif du village de Kittatinny Falls, un artiste admiré faisant commerce d'objets en macramé, un homme que les femmes trouvent irrésistible. Tandis qu'il continue allègrement d'"éduquer" ses proies.
Approchant de l'âge "limite", alors que Daddy Love est déjà reparti en chasse, que va-t-il advenir de Gideon ? Sera-t-il éliminé comme ses prédécesseurs ?Parviendra-t-il à retrouver sa liberté ? Mais surtout, le souhaite-t-il ? Joyce Carol Oates nous fait vivre toute la complexité de cette captivité, et le lecteur ne manquera pas de se poser la question : que devient-on après des années d'intimité avec un monstre ?


Du très grand Joyce Carol Oates.

Elle arrive, de son écriture simple mais ô combien travaillée, à traiter avec délicatesse un si lourd sujet. À décrire sans concession ni voyeurisme sordide l'horrible quotidien d'un enfant enlevé par un pédophile. À nous faire comprendre, par petites touches, le phénomène de l'emprise, du dédoublement de personnalité.

Comme l'enfant, on bascule progressivement de sa personnalité d'avant à celle d'après. Au point qu'à un moment du livre, en lisant "Robbie" je me suis dit "c'est quel personnage déjà ?". Car comme Gideon, j'avais oublié qu'il avait été Robbie.

Du ravisseur, on ne sait rien ou si peu. Comme Robbie-Gideon.

Si le regard se porte toujours d'un point de vue extérieur (la narratrice est l'autrice et non un des personnages), il ne manque pas d'empathie.
D'une manière ou d'une autre, elle arrive à nous faire entrer dans la tête des personnages. On voit à travers leurs yeux, on en comprend d'autant mieux ce qui se passe, et d'autant mieux l'horreur vécue par l'enfant... et sa famille. Car les parents (et même la grand-mère maternelle) ne sont pas oubliés. Tous représentés avec leur vécu, leurs failles, forces et faiblesses.

Mention spéciale aux quatre premiers chapitres, décrivant le même évènement : l'enlèvement, de façon différente. Avec brio. Cela surprend, en démarrant le deuxième chapitre. Cela intrigue, au début du troisième. Au quatrième, j'ai compris : tout parent qui voit son enfant enlevé sous ses yeux se repasse la scène en boucle. "qu'est-ce que j'ai fait pour que ça arrive ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait pour que ça n'arrive pas ?"
Cette scène sera reprise plus tard dans le livre... du point de vue du ravisseur.
On ne peut rien contre quelqu'un de déterminé, dont on n'avait soupçonné ni la présence ni l'acte à venir et qui met un point d'honneur à être discret et insoupçonnable.

Rien ne manque dans ce roman : la manière dont cela est traité dans les media, dont les parents font face, les regards des autres, plus ou moins empathiques, plus ou moins maladroits, et l'après.

Jusqu'à la fin, troublante. A chacun d'endéduire ce qu'il veut.

Oui, décidément, du très grand, de l'excellent Joyce Carol Oates.
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