Zappant devant le superbe téléviseur qu'il vient de s'offrir - ou plutôt d'offrir à sa femme-, un Libanais tombe sur le film Kramer contre Kramer et comprend, malgré son anglais approximatif, que le personnage joué par Meryl Streep est en train de quitter son mari. Cette scène le renvoie soudain à la réalité de son propre couple, dont le mariage avait été arrangé par une tante, et il s'interroge. Pourquoi son épouse va-t-elle si régulièrement dormir chez ses parents ?Censément vierge au moment de leur union, comment en sait-elle autant sur la sexualité masculine ? Quelle a été, avant, leur rencontre, la vie de cette femme dont il ne sait finalement pas grand-chose et qui lui échappe chaque jour un peu plus ?
Jamais sans doute un romancier arabe n'avait traité les question du couple et de la sexualité d'une façon aussi directe et décomplexée, pleine d'humour. Le mariage apparaît comme une institution mise à rude épreuve par la modernité, qui creuse le gouffre entre les images occidentales véhiculées par les média et la tradition. En assumant ou un feignant d'assumer cette modernité, la femme démontre à l'homme à quel point il est incapable d'en faire autant.
Déroutant est le premier mot qui me vient à l'esprit. Brillant, aussi, une fois qu'on a compris qu'il ne faut rien prendre au premier degré, comme je l'ai fait au début, ayant ainsi failli laisser tomber ce livre en cours de route. Tant le narrateur paraît malsain.
J'ai donc fait une recherche sur l'auteur, j'ai trouvé peu de choses en fait, car il est peu connu par ici me semble-t-il. Ce livre par contre a été transposé en pièce de théâtre, je serais curieuse de voir ce que ça donne...
Ce roman est une satire d'un pan machiste de la société libanaise, où les femmes n'ont que peu de droits, sinon d'être soumise à l'homme. Quels que soient leur attitude, leurs vêtements, leurs paroles, elle sont systématiquement rabaissées, surveillées, dénigrées ou soupçonnées du pire. Leur corps leur appartient tellement peu que leur virginité (un droit pour le mari selon le narrateur) doit être refaite chirurgicalement si elles l'ont perdue avant le mariage (et d'autant plus que si c'est avec un autre homme que leur mari. On voit une scène de ce genre dans le film "Caramel". Une scène humoristique, teintée d'acidité envers une société qui impose -et propose- une telle aberration).
Par cette longue narration, car il n'y a pas de chapitres dans ce livre, on suit le raisonnement du pire machiste qu'il m'ait été donnée à voir. Enfin, à lire.
On finit par comprendre que ce machisme systémique ne convient à personne : ni aux femmes, ni aux hommes, et est la source d'une incompréhension totale entre eux, rendant tout accord entre les deux sexes absolument impossible. Il pose des questions, mais n'écoute pas les réponses, n'étant pas celles qu'il veut entendre, et surtout, n'envisageant même pas que sa conception des choses puisse ne pas être la seule.
Je pense que l'auteur connaît des hommes comme cela, et qu'il a rendu ce personnage suffisamment abject pour que son lectorat masculin se dise "on non, je ne suis pas comme ça quand même ?"
Il n'est guère loin de la folie dans sa façon psychorigide de considérer les femmes, refusant toute liberté à la sienne, et se mentant à lui-même.
Tous les aspects de la lutte féministe est indirectement abordée : le patriarcat, le viol, le poids de la religion, la liberté des femmes à disposer de leur corps et de décider par et pour elles-mêmes ce qu'elles veulent faire de leur vie.
Dérangeant, troublant, secouant, percutant.
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