4 de couv' :"Alors, en début de soirée, ce 3 août 1962, vint la Mort, index sur la sonnette du 12305 Fifth Helena Drive. La Mort qui essuyait la sueur de son front avec sa casquette de base-ball. La Mort qui mastiquait vite, impatiente, un chewing-gum. Pas un bruit à l'intérieur. La Mort ne peut pas le laisser sur le pas de porte, ce foutu paquet, il lui faut une signature. Elle n'entend que les vibrations ronronnantes de l'air conditionné. Ou bien... Est-ce qu'elle entend une radio, là ? La Maison est de type espagnol, c'est une "hacienda" de plein-pied : murs en fausses briques, toiture en tuiles orange luisantes, fenêtres aux stores tirés. On la croirait presque recouverte d'une poussière grise. Compacte et miniature comme une maison de poupée, rien de grandiose pour Brentwood. La Mort sonna à deux reprises, appuya fort la seconde. Cette fois, on ouvrit la porte.
De la main de la Mort, j'acceptai ce cadeau. Je savais ce que c'était, je crois. Et de la part de qui c'était. En voyant la nom et l'adresse, j'ai ri et j'ai signé sans hésiter."
Cela faisait longtemps que je voulais acquérir ce livre. Pas le réserver à la bibliothèque parce qu'en plus d'avoir été écrit par Joyce Carol Oates, écrivaine que j'ai parfois beaucoup de mal à lire (mais vers laquelle je retourne obstinément comme un papillon vers la flamme), il fait quand même 1110 pages (non, il n'y a pas de "1" en trop). Je craignais donc que même avec 3 semaines de prolongation de l'emprunt, cette contrainte temporelle nuise à mon avancée dans la lecture ("je dois le rendre, je dois le rendre, je dois le rendre"). C'est idiot (et oui, franchement psychologique, oui, je sais).
J'ai donc fini par l'acheter en février en bouquinerie, un bon compromis "financier" entre l'emprunter et l'acheter. Il est resté quelques semaines dans ma BAL* avant que j'ose enfin m'y attaquer (en même temps, quand tu es immobilisée par une entorse pendant tes vacances, tu as tout le temps qu'il te faut pour le lire sans être trop interrompue...).
A ma grande et bonne, excellente surprise, j'ai adoré ce roman. Car oui, comme cela est indiqué en tout début de livre, par une note de l'éditeur puis une note de l'autrice, il faut le lire comme un roman, pas comme une biographie.
Cela posé, la suite est moins dérangeante. J'ai beaucoup recherché sur Internet, pendant ma lecture, certains des personnages et effectivement l'autrice a pris quelques libertés avec la réalité, tout en restant cohérente avec l'histoire. Ou l'Histoire.
L'écriture est tellement belle, tellement fluide, tellement brillante et flamboyante qu'une fois le roman entamé on ne peut plus le lâcher rien que pour la beauté de la langue. Rien que pour cela, ce roman est un hommage à Marilyn. L'écriture est en totale concordance avec la fascination que Marilyn exerce encore. Quoi qu'il se passe dans l'histoire, on ne peut qu'y revenir sans cesse.
Aussi dérangeants que soient certains aspects de sa vie, tels que décrits dans ce livre, on ne peut qu'y revenir, avoir envie de poursuivre.
Mention spéciale à la traductrice de ce livre, Claude Seban, qui a fait un travail remarquable. Chapeau bas, Madame.
Comme souvent avec Oates, l'histoire et le personnage principal sont dérangeants. Dérangeants car elle dit les choses telles qu'elles sont, et peut utiliser le langage le plus ordurier pour décrire les pires scènes mais sans que ce soit vulgaire tellement c'est bien écrit.
On retrouve aussi une certaine part de féminisme : la tragédie de Marilyn est mise en relations directe avec une société, une époque et un milieu profondément machistes. Aucune chance d'y échapper. Ce qui la sauve continuellement vis-à-vis de ses employeurs est que son talent (sous-employé, mais elle lutte intensément contre cela), sa beauté (forcément éphémère) et son image leur rapportent beaucoup.
Elle n'est clairement pour eux qu'un objet, un investissement dont ils savent user par tous les moyens possibles (y compris personnellement, à ses débuts...).
Le personnage de Marilyn est une contradiction permanente, avec forces et ses faiblesses, son besoin d'être aimée et se laissant avilir ou ne voyant pas ou ne conservant pas le véritable amour quand elle le rencontre enfin, son intelligence jamais reconnue, Norma Jeane et Marilyn, son manque d'assurance constant sauf une fois entrée dans la peau de ses personnages (qu'elle améliore, encore et encore, à chaque nouvelle prise), son image qu'elle entretient (c'est son travail) et qui la dépasse.
J'ai particulièrement apprécié dans ce livre que l'autrice passe parfois d'un narrateur à l'autre sans que ce soit dérangeant : on passe de la narration de l'autrice à celle de personnes ayant côtoyé Marilyn. La narration de Norma Jeane/Marilyn est mise en italique donc immédiatement identifiable.
Cela n'est pas déroutant car parfaitement amené, la langue n'étant pas la même.
Le passage sur Kennedy n'est pas la partie la plus longue et ne le met vraiment pas en valeur.
Je dois donc ici revoir mon jugement sur le personnage de Kennedy dans "
Le jour où Kennedy n'est pas mort" de R.J. Ellory, car les portraits faits de lui dans ces deux romans sont vraiment similaires... Jusqu'à l'écoeurement. Il faudra que je fouille par là un de ces jours.
Je n'ai pas pu m'empêcher de comparer ce roman à "
Mudwoman", de la même autrice, que je n'ai pas réussi à terminer. De mémoire, je n'ai pas dépassé la centième page, sur 500, bien que l'écriture soit bien la même. La différence notable entre les deux livres, est que l'on connaît tous l'histoire de Marilyn alors que le personnage de Mudwoman est totalement inconnu. Je dois avouer que l'envie de reprendre ce roman me titille depuis que j'ai terminé"Blonde", mais je verrai cela plus tard.
Je suis donc ravie d'avoir osé entamer ce livre qui m'impressionnait par sa taille, et m'impressionne maintenant par sa magnificence, sa flamboyance. Pour le moment, ma meilleure surprise littéraire de l'année !
Et de toutes les photos de Marilyn, c'est celle-là que je préfère :
* Bibliothèque À Lire