Née en 1770, appartenant à la noblesse la plus ancienne, Henriette-Lucy Dillon épouse en 1787 le comte de Gouvernet qui deviendra marquise de la Tour du Pin en 1825. Grâce au dévouement de la future Madame Tallien, la comtesse de Gouvernet échappe à la Terreur, s'embarque à Bordeaux pour l'Amérique avec sa famille. Son journal apporte quantité d'informations, de scènes et de portraits de l'ancien régime, la Révolution, la vie sous le Consulat et l'Empire. Des pages très singulières et amusantes relatent l'exil en Amérique, où Henriette-Lucy, s'écartant de la vie mondaine des autres émigrés, se fait fermière, marque à ses armes ses mottes de beurre, se lie d'amitié avec les Indiens.
Les Mémoires de la marquise de la Tour du Pin s'arrêtent en 1815. Afin de couvrir la période compris entre 1815 et la mort de l'auteur (1853), Christian de Liederke Beaufort publie ici des pages de la Correspondance de la marquise avec ses amis, comme par exemple la comtesse de la Rochejacquelein et Madame de Staël.
L'exercice de l'écriture de mémoires peut être délicat je pense pour son auteur : difficulté à retrouver les dates précises, les noms des personnes, les lieux exacts, la chronologie des évènements. A moins d'avoir tenu un journal la plus grande partie de sa vie (s'il n'est pas égaré), il lui faudra bien se rabattre sur sa mémoire, son entourage, des livres ou archives sur l'Histoire.
Pour le lecteur, la difficulté est autre : si les imprécisions ou erreurs sont comme ici corrigées par des notes en fin d'ouvrage, on ne peut s'empêcher de prêter à l'auteur un manque d'objectivité (on n'est pas toujours le bon juge de soi-même ou de sa classe sociale... Ou des autres). Et pour une période que l'on n'a pas vécue ou qu'on connaît plus ou moins bien, il faut bien se reposer sur le texte proposé.
Et surtout, éviter de considérer une époque avec la mentalité d'aujourd'hui !
Cela étant posé, je trouve que la marquise de la Tour du Pin, à l'écriture exquise et si agréable à lire, a bien réussi ce difficile exercice d'objectivité. Qu'elle soit issue de la noblesse, n'empêche pas qu'elle garde un regard critique sur son milieu d'origine et certains de ses membres, tout en condamnant la violence de la Révolution.
Elle écrit ses mémoires avec sincérité, et autant avec sa tête qu'avec son coeur.
Sur sa vie en elle-même, on peut dire qu'elle en a vécu plusieurs et en de nombreux endroits ! A chaque nouveau lieu, nouvelle vie, à moins que ce ne sois l'inverse... Chaque redémarrage étant évidemment facilité par l'argent qu'elle et son mari ont pu conserver, ce qui les a bien aidés à s'installer, en particulier en Amérique.
Redémarrages facilités également par ses relations qui lui permettent, selon les époques et le contexte, d'être lus ou moins près du pouvoir.
Et si la fin de sa vie (évoquée dans les extraits de sa correspondance, qui suivent les mémoires), elle ne vivait guère dans l'opulence, il me semble cependant qu'elle vivait mieux que les gens du peuple et ne manquait ni de soutiens ni de solutions de repli, ne serait-ce qu'au sein de sa famille.
Cela étant, fidèle à elle-même (car elle est d'un caractère volontaire), on ne peut pas dire qu'elle se plaigne vraiment.
Ce livre est des plus intéressants (dommage qu'il ne soit plus réédité), d'autant que la liste des personnes, la généalogie, les notes des mémoires et de la correspondance en font un ouvrage des plus complets sur cette époque.
Ces mémoires, si bien écrits, témoignage passionnant de leur temps, ont donc été pour moi un vrai plaisir de lecture.
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